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Fokus Cathy Galliègue

Pourquoi avez-vous souhaité devenir écrivain ?

Ma vie aurait sans doute été très différente si, à quinze ans, je n'avais pas été percutée par un petit roman mélancolique, Bonjour tristesse, écrit par celle que François Mauriac qualifiera affectueusement de "charmant petit monstre".

Françoise Sagan venait de débouler dans mon univers déjà tout entier tourné vers les livres. Elle est devenue mon amie imaginaire, je n'en ai pas honte. 

Puis le temps a passé, ça faisait un bon paquet d’années que je ne pensais plus trop à elle, plus comme avant.

À quinze ans, je ne pensais qu’à elle. Et à l’amour, bien sûr. J’écrivais mes petits textes bourrés de rébellions adolescentes, de maladresses et de déclarations sirupeuses. Elle était là, assise près de moi, sa tête de petite souris appuyée sur sa main toute fine, une clope coincée entre ses doigts nerveux. Elle suivait des yeux mes cafouillages littéraires avec un intérêt même pas feint et quand je jetais mon stylo, froissais rageusement le papier, en colère de ne pas avoir ses mots à elle, qu’elle ne me les offre pas en récompense de ma grande admiration, elle ne disait rien. Elle attendait, avec son petit sourire triste et ses yeux qui en ont vu d’autres.

Bonjour l’angoisse ! 

Il en aura fallu des années pour que j'ose entreprendre ce qui me semblait jusqu'alors inaccessible : l'écriture d'un roman.

Il aura fallu encore beaucoup de lectures, beaucoup de petits textes écrits ici ou là, abandonnés, perdus, beaucoup d'idées qui germent mais ne fleurissent pas, pour qu'un jour pas comme les autres et sans vraiment de plan, se dessinent des personnages, une histoire, la petite musique des mots, tout ce petit monde bondissant sous mes doigts de page en page. Ça n'a pas été une promenade de santé, vous pouvez me croire, car je ne voulais pas décevoir Françoise, je ne voulais décevoir personne, ne pas blesser la littérature en lui infligeant une chose sans intérêt que les éditeurs me renverraient en se pinçant le nez. 

Nous étions en 2016 et j'habitais en Guyane. Je voyais cet éloignement du centre névralgique germanopratin comme un obstacle quasiment infranchissable pour l'inconnue au bataillon que j'étais. Je venais cependant de terminer ce premier roman, presque certaine qu'il n'y en aurait pas d'autres, tant ce travail m'avait occupée nuit et jour, et tant il était hautement improbable qu'il soit un jour publié. Et pourtant... 

Un mois après l'envoi à quelques maisons d'édition, je reçois un appel d'un éditeur de chez Albin Michel.

Je manque tomber de ma chaise. 

Après quatre romans publiés (Albin Michel, Emmanuelle Collas, le Seuil, Les Presses de la Cité), et sans avoir souhaité être écrivain, il me semble que la vie a décidé pour moi. 

Et je n'aurais osé rêver cette vie-là. 

Quel est le thème de votre roman ?

Le thème de la mémoire, et de sa perte, m’a toujours fascinée. Avec l’allongement de l’espérance de vie, nombreuses sont les personnes dont le corps traverse les années sans trop de difficulté, mais dont l’esprit flotte dans un espace presque vidé de souvenirs. En regardant la vidéo d’une très vieille dame, assise dans un fauteuil roulant, le regard perdu, j’ai été bouleversée de la voir reprendre vie au moment où l’on place sur ses oreilles un casque. On lui fait écouter Le lac des cygnes. Elle se redresse, ses bras deviennent des ailes, son visage retrouve la tragédie jouée tant de fois, le regard accompagne ses longues mains. La dame, dans sa jeunesse, était danseuse étoile. 

Dans Là où murmure le vent, c’est l’amour fou de sa jeunesse qui permet à Gabin de transcender sa mémoire défaillante, et de partir à la recherche du plus beau souvenir de sa vie. 

 C’est dans la beauté naturelle et encore sauvage du Haut-Jura que Gabin, un vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer, va partir à la recherche de ses souvenirs. Enfant du pays, la nature devient l’alliée de sa quête en lui restituant les images d’un temps où la jeunesse, l’amour unique et fou, l’amitié, mais aussi la dureté de la vie, ont fait de lui l’homme qu’il est devenu. Mais l’homme qui perd doucement ses racines refuse de capituler et, au cœur de l’hiver, il retourne aux origines, près de la combe cernée de sapins, dans le creux austère peuplé de joie, là où il cherche sa voix intérieure, celle qui monte des eaux sombres de l’étang gelé.

Comment allez-vous à la rencontre avec vos lecteurs ?

Avec joie, toujours ! 

Les salons, les dédicaces, les rencontres littéraires sont des moments privilégiés que les lectrices et les lecteurs accordent aux auteurs. 

Tout ce temps passé seule avec l'écriture, avec mes doutes et mes angoisses, mais toujours en pensant au lecteur, devient tout à coup, à la sortie du roman, peuplé de visages, de personnes bien réelles, et cette effervescence donne tout son sens au travail d'écriture après le nécessaire isolement. 

Que ressentez-vous d'être publiée en gros caractères ?

Je pense à ma grand-mère, qui était une grande lectrice mais une lectrice empêchée durant ses dernières années, ses yeux ne lui permettant plus de lire des caractères toujours trop petits. 

Quand l'acuité visuelle n'est plus ce qu'elle était, il faut que les livres s'adaptent et permettent ainsi aux lectrices et aux lecteurs de ne pas être privé(e)s de cette fenêtre sur la liberté. 

Ma grand-mère aurait adoré que les livres en grands caractères existent, sans doute se serait-elle sentie moins seule et elle aurait continué à me raconter, comme elle aimait à le faire et avec moult détails, son roman en cours. 

Je suis donc très heureuse que Là où murmure le vent soit accessible à tous les yeux désireux de le découvrir.